1.2 Les méthodes de la géomorphologie
Dans les régions de montagne, l’information est le plus souvent ‘’cachée’’ et difficilement accessible. Sa collecte nécessite l’utilisation de différentes méthodes, dont quelques exemples d’application (liste non exhaustive) sont présentés ici.
Chacune d’entre elles possèdent des avantages et des inconvénients. L’utilisation conjointe de ces différentes approches permet une interprétation fiable de l’occurrence et de l’évolution des phénomènes géomorphologiques.
- Cartographie géomorphologique a pour but de délivrer des informations sur la géométrie des formes du relief, la nature et la structure des formations superficielles, l’activité des processus et l’âge des formes du relief (fig.1). Elle est un outil préalable indispensable pour cibler correctement les emplacements où seront mises sur pied des méthodes plus coûteuses et exigeantes en matériel.
- Stations météorologiques et hydrologiques. Les variables météorologiques comme la température de l’air et les précipitations (pluie et neige), ainsi que les écoulements de surface (débit) jouent un rôle fondamental dans l’évolution des phénomènes glaciaires, périglaciaires, gravitaires et torrentiels. Les Alpes suisses disposent d’un large réseau de stations de mesures exploité par Météosuisse, l’Institut pour l’étude de la Neige et des Avalanches de Davos (SLF) et diverses institutions universitaires ou privées (fig.2).
- Méthodes sédimentologiques. L’analyse des dépôts meubles (structure, granulométrie, faciès, couleur…) permet à la fois de différentier leurs conditions d’érosion, leurs conditions de transport, ainsi que les conditions de dépôt (et leur évolution). L’analyse du positionnement dans l’espace de différents dépôts permet de dater de façon relative des évènements géomorphologiques : par exemple l’emboîtement de terrasses fluvio-glaciaires ou le positionnement de cordons morainiques a permis de développer le modèle des 4 glaciations de Penck & Brückner (1909), le comptage de varves a permis d’établir une chronologie absolue de déglaciation de la Mer Baltique, ou encore, les paléo-rivages perchés ont permis d’établir la remontée isostatique de la Scandinavie après la Dernière grande glaciation.
- Méthodes thermiques. Le meilleur moyen de connaître les caractéristiques thermiques et l’évolution d’un terrain (par exemple d’un pergélisol) est de mesurer sa température directement en forages. D’autres méthodes (moins coûteuses) permettent de documenter le régime thermique de la surface du sol… et de disposer ainsi d’une information indirecte des conditions régnant dans le sous-sol : utilisation en continu de capteurs autonomes (GSTM), cartographie momentanée des températures de la surface du sol en hiver à l’aide de sondes BTS… (fig.3).
- Méthodes géodésiques. Les méthodes géodésiques (GPS, théodolites…) permettent à la fois la localisation de points de mesures (lors de répétition), la cartographie ainsi que la mesure de déplacement de la surface du terrain. Le suivi de nombreux cas critiques situés à l’aplomb de voies de communication ou de zones habitées fournit ainsi une information précieuse dans la gestion des risques naturels en montagne (fig.4) !
- Méthodes géophysiques. Les matériaux cachés dans le sous-sol possèdent des propriétés physiques qui leur sont propres: résistance au courant électrique, vitesse de propagation des ondes sismiques (fig. 5 & 6). Ces propriétés varient notamment selon le type de roche, le contenu en eau liquide, la présence de glace, la température, la porosité… Les méthodes géophysiques permettent ainsi d’acquérir à moindre coût une information indirecte de la nature du sous-sol, sans à avoir à le détruire (tranchée…).
- Télédétection. La télédétection concerne l’acquisition d’informations à distance (par ex. d’un avion, d’un satellite…) par le biais de multiples instruments (radar, lasers, appareils photographiques…) utilisant différentes longueurs d’onde. Ces méthodes sont par exemple utilisées pour déterminer les changements à grande échelle des surfaces englacées, pour évaluer l’ampleur et la vitesse de déplacements de différents types de terrain (fig.7).
- Méthodes de datation. La datation d’évènements géomorphologiques (par exemple : âge d’un glissement de terrain, de la glace d’un glacier, âge d’exposition d’une surface rocheuse, etc.) peut être mené de trois façons :
- Les méthodes de datation relative (par exemple le marteau de Schmidt, la Luminescence optiquement stimulée ou la corrélation stratigraphique) permettent d’établir l’âge d’une forme ou d’un évènement par rapport à un autre.
- Les méthodes de datation absolue permettent un comptage direct des années qui s’écoulent entre une borne chronologique et l’autre (par exemple l’étude de cernes des arbres par dendrochronologie et dendrogéomorphologie, le comptage de varves ou de lames de glace).
- Les méthodes de datation numériques permettent par contre d’obtenir un calage chronologique absolu par calibration d’un temps de dégradation physique (par exemple le radiocarbone, les isotopes cosmogéniques, les méthodes uranium-thorium-plomb ou argon-argon, etc.).
Fig. 1 – Carte géomorphologique utilisant la légende mise sur pied par l’Institut de Géographie de l’Université de Lausanne.
Fig. 3 – Utilisation de sondes BTS et capteur thermique autonome (à g.). Relation entre différentes techniques de mesures thermiques du pergélisol, et différentiation en termes de résolution spatiale et temporelle (à d.).
Fig. 4 – Mesures du déplacement de terrain par GPS différentiel… demandant parfois quelques talents d’équilibriste et de balayeur!
Fig. 5 – Application de méthodes géophysiques en milieu alpin : installation d’un profil de géoélectrique (à g.), sismique-réfraction au marteau (au centre) et géoradar (à d.).
Fig. 6 – Déplacement du glacier d’Aletsch (VS) observé par interférométrie radar satellitaire en 1 jour (7 – 8 mars 1996). Un fringe (‘’un cycle de couleur’’) correspond à un déplacement d’environ 2.8 cm.
Références
Delaloye R. (2004) : Contribution à l’étude du pergélisol de montagne en zone marginale. Série Geofocus, volume 10, Department of Geosciences, Geology, University of Fribourg, 240 p.
Hauck C. & Kneisel C. (2008) : Applied Geophysics in Periglacial Environments. Cambridge University Press, Cambridge, 240 p.
Holzmann C., Lambiel C., Philipps M., Reynard E. (2006) : Légende géomorphologique de l’IGUL. Lausanne, Institut de Géographie (http://www.unil.ch/igul/page19238.html).
Scapozza C. (2013) : Stratigraphie, morphodynamique, paléoenvironnements des terrains sédimentaires meubles à forte déclivité du domaine périglaciaire alpin. Série Géovisions, volume 40, Institut de géographie et durabilité, Université de Fribourg, 551 p.
Schoeneich P., Reynard E., Pierrehumbert G. (2008) : Geomorphological mapping in the Swiss Alps and Prealps. Wiener Schriften zur Geographie und Kartographie, 11, 145-153.
Walker M. (2008). Quaternary dating methods. John Wiley & Sons, Chichester, 286 p.